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Le Centre Pompidou &... Patti Smith

Constantin Brancusi est l'un de ses artistes préférés. À chaque fois qu'elle vient à Paris, Patti Smith a rendez-vous avec les chefs-d'œuvre de l'artiste d'origine roumaine, conservés au Musée national d'art moderne depuis 1957. À l'occasion de « Evidence », son installation sonore et visuelle présentée en 2022-2023, la chanteuse et poétesse américaine s'était confiée en exclusivité sur les liens puissants qui l'unissent à l'art moderne et au Centre Pompidou.

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« Tous les artistes parlent à Dieu… ». Ainsi s'exprime Patti Smith lorsqu'elle évoque l'un de ses dessins, A Goat Talks to God, réalisé en 1969, et visible dans l'installation sonore « Evidence » (présentée d'octobre 2022 à mars 2023, ndlr). Quête poétique et immersive conçue en collaboration avec Soundwalk Collective, « Evidence » est une réflexion contemporaine sur l'infini et l'universel, une quête spirituelle sur les traces des poètes Arthur Rimbaud, René Daumal et Antonin Artaud. Âme voyageuse, l'artiste revient toujours à Paris, ville qu'elle a découverte pour la première fois en 1969, devenue indissociable de ceux qui l'ont nourrie spirituellement, de Joseph Beuys à Pablo Picasso, en passant par Constantin Brancusi. Profondément mystique, la poétesse et chanteuse évoque, depuis New York, l'histoire d'amour qui la lie à la capitale française. Une histoire qui est née dans les mots, ceux de Rimbaud, justement, que Patti Smith adore comme une divinité. Entretien inédit.

« Je suis venue à Paris pour la toute première fois en 1969. Le Centre Pompidou n'était même pas construit. À l'époque, le quartier Beaubourg était délabré, mais coloré et intéressant. C'est un coin que j'ai toujours aimé. À quelques pas du Musée national d'art moderne se dresse l'église Saint-Merri, qui est un lieu particulier pour moi, car c'est là que le poète Gérard de Nerval a été baptisé. Nerval est né dans ce quartier, au 168 rue Saint-Martin, et c'est aussi dans ce quartier qu'il s'est suicidé en 1855 (près de l'actuelle place du Châtelet, ndlr). Tout cela résonne beaucoup en moi. Paris est une ville qui m'est chère. J'aime les coins historiques du quartier Montparnasse, le cimetière où sont enterrés Baudelaire et Marguerite Duras ; la Fondation Cartier dans le 14e arrondissement, et bien sûr le quartier Saint-Germain-des-Prés, où se trouve mon éditeur français, Gallimard. Le Café de Flore est un endroit où j'adore aller pour boire un café et écrire. J'aime aussi le cimetière du Père-Lachaise, car c'est là où sont enterrés certains de mes poètes préférés — Nerval, Oscar Wilde, Jim Morrison ou encore Modigliani. J'y vais quasiment à chaque fois que je suis de passage. Je suis une créature d'habitudes.

 

J'ai tendance à aimer les musées "classiques", mais le Centre Pompidou a une énergie particulière, c'est un lieu très vivant, très accueillant pour les jeunes. Je suis venue de nombreuses fois au Centre, et j'y ai vu beaucoup de belles expositions, comme celle consacrée à Yves Klein ou celle sur la Beat Generation. Il y avait énormément d'archives présentées, et c'était très émouvant pour moi de revoir les œuvres de certains de mes amis, aujourd'hui disparus. L'automne dernier, alors que je travaillais sur mon exposition « Evidence », j'étais descendue dans un hôtel près de la tour Saint-Jacques. Et tous les jours, après mon café du matin, je marchais depuis l'hôtel jusqu'au Centre. Je prenais alors l'escalator pour monter jusqu'aux terrasses, d'où l'on voit tout Paris… C'est merveilleux. J'adore le côté machine, tous ces tubes. Le Centre Pompidou c'est vraiment de l'art dans l'art.

 

Brancusi reste l'un de mes artistes préférés, et à chaque fois que je viens, je passe un peu de temps dans son atelier ; c'est très émouvant de voir ses outils, et certaines de ses œuvres inachevées.

Patti Smith

 

Brancusi reste l'un de mes artistes préférés, et à chaque fois que je viens, je passe un peu de temps dans son atelier ; c'est très émouvant de voir ses outils, et certaines de ses œuvres inachevées. Je possède trois photographies prises par Brancusi : une, très petite, réalisée dans le jardin d'Edward Steichen, quand Brancusi était élève de Steichen. Il existe en fait deux versions de cette image : une version diurne, que possède la France — je possède quant à moi la version nocturne. À la mort de l'artiste, c'est sa veuve qui a vendu la photo. Il y a quelques temps, j'avais présenté une exposition dans une galerie à Paris, et le cinéaste Claude Berri avait acheté certains de mes dessins. C'est avec cet argent que j'ai pu acquérir la petite photo. L'autre est un autoportrait, que mon ami Michael Stipe, le leader de REM, m'a offert pour mes soixante ans.

 

Il arrivait souvent que je me perde dans le Musée, mais à côté de l'espace où nous travaillions se trouvait une superbe toile de Joan Mitchell. C'était mon marqueur. Dès que je la voyais, je savais que j'étais arrivée.

Patti Smith

 

Lorsque nous travaillions sur mon exposition, je prenais parfois du temps pour voir quelques-unes des grandes œuvres du Musée. J'adore Picasso, Dubuffet, Joseph Beuys… Quand j'avais besoin de me reposer un peu entre deux interviews, j'allais faire un tour dans la salle de Plight, juste à côté. Il n'y avait souvent personne, c'était très calme, et je me sentais en paix… J'avais énormément de plaisir à rester assise, là. Plight est une œuvre qui possède une forme d'énergie silencieuse. J'adore cette idée de “son sans son”. Il arrivait souvent que je me perde dans le Musée, mais à côté de l'espace où nous travaillions se trouvait une superbe toile de Joan Mitchell. C'était mon marqueur. Dès je la voyais, je savais que j'étais arrivée. » ◼

Portrait de Patti Smith © Jesse Paris Smith